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Pourquoi l’avion est-il le moyen de transport le plus sûr au monde ?

11/2020

La digitalisation actuelle des produits rend d’autant plus difficile la vision globale des intrications. La gestion de configuration a fait ses preuves : elle permet de partager efficacement et de façon pertinente les informations à grande échelle.

Pourquoi l’avion est-il le moyen de transport le plus sûr au monde ? Ce que cela nous enseigne sur les pratiques process des autres secteurs.  

 

Le transport aérien est le plus sûr au monde. Les statistiques d’Aviation Safety Network publiées en janvier 2020 mettent même en exergue que 2019 est sur le podium des années les plus sûres. Eviter les accidents est pourtant un véritable travail d’orfèvre pour les constructeurs qui développent des appareils toujours plus compliqués, intelligents et connectés. Alors comment ce secteur en particulier parvient-il à atteindre de telles performances ? Certainement car il est l’un des premiers au monde à suivre en configuration la quasi-totalité des processus de conception, production et maintenance. Michel Paillet, PhD et co-fondateur de Cognitive Companions, revient sur cette organisation du travail qui permet d’orchestrer efficacement les expertises.

 

La gestion de configuration en 3 mots

Interconnexion : la discipline de gestion de configuration implique une mise en exergue des interdépendances entre les différents éléments d’un produit. Pour donner l’idée de l’interdépendance, une modification effectuée sur les sièges peut avoir un impact sur le poids de l’appareil et ainsi une incidence sur de nombreux éléments dont par exemple la résistance des pièces impliquées dans le processus d’atterrissage. Quand un avion est suivi en configuration, si une modification sur les sièges est proposée, les équipes en charge du train d’atterrissage vont être alertées et vont en étudier l’éventuel impact.

Modélisation : en soulignant les liens entre les actions des différents intervenants qui co-construisent un artefact, le processus de gestion de configuration amène à la modélisation des produits et à l’orchestration des systèmes qui les constituent. Il permet ainsi d’avoir une vision plus globale, car ce sont des produits qui impliquent souvent le travail de dizaines d’équipes réparties sur plusieurs territoires.

Anticipation : en répérant les potentiels problèmes avant même qu’ils n’apparaissent, la discipline de gestion de configuration s’inscrit dans une démarche prospective qui permet de gagner un temps précieux, surtout lorsqu’il s’agit de projets aéronautiques qui se développent sur de nombreuses années.

 

Faire en sorte que les boites noires n’aient plus d’utilité

Nous pouvons dater la naissance de la discipline de gestion de configuration aux années 80. Cette discipline avait pour but de répondre aux exigences de l’aviation civile américaine qui demandait aux constructeurs d’être capables d’identifier précisément et rapidement la ou les causes d’un crash. Les boites noires sont des enregistrements descriptifs et non explicatifs. Dans le cas du crash du vol447 d’Air France entre Rio et Paris en 2009, les boites noires n’ont pu être retrouvées que deux ans plus tard. Si elles apportent des éléments sur les paramètres et les actions humaines au cours du vol, elles ne permettent pas forcément de comprendre seules le pourquoi qui repose sur les intrications entre les différents éléments techniques et mécatroniques des appareils :bec pour la mesure de la vitesse, angle de décrochage... Suivre le cycle de vie d’un produit en configuration permet d’avoir cette profondeur de champs. Et c’est la solution que les constructeurs ont mis en place pour pouvoir réagir vite et efficacement. Grâce à ce processus d’organisation et de suivi, les risques d’accidents sont limités, et par ricochet les catastrophes aériennes.

Le gestionnaire de configuration chuchote à l’oreille des directeurs de programme

 

Au sein des grands groupes aéronautiques, il n’est pas rare que le responsable de la gestion de configuration soit le bras droit du directeur de programmes, qui est lui-même un acteur clef du top management. Ce positionnement très haut dans la hiérarchie souligne bien toute l’importance qu’accorde le secteur à cette discipline. Et ce n’est pas anodin. Il n’est pas rare en France qu’il existe un décalage entre la stratégie énoncée par les dirigeants et la réalité opérationnelle. La gestion de configuration permet de remettre les problématiques métiers au cœur de la stratégie globale. Cela demande humilité et conscience du collectif : des qualités encore trop peu répandues au sein des entreprises françaises… Soulignons également que ce processus présente un autre atout non négligeable puisqu’il est la clé des démarches de traçabilité tout au long du cycle de vie d’un produit, qui représentent aujourd’hui un enjeu important pour la plupart des entreprises.  

 

Les bonnes pratiques d’un secteur doivent être partagées, et, sur le plan organisationnel et de l’anticipation des risques, l’aéronautique (entre autres) a beaucoup à nous apprendre. La digitalisation actuelle des produits rend d’autant plus difficile la vision globale des intrications. La gestion de configuration a fait ses preuves : elle permet de partager efficacement et de façon pertinente les informations à grande échelle. Démocratisons-la, pour éviter les crashs dans tous les secteurs de l’économie.

 

Cet article à été rédigé par
Michel Paillet
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