Tribune

Ce que l’aéronautique nous apprend sur la sécurité

02/2021

Éviter les accidents est un travail d’orfèvre pour les constructeurs qui développent des appareils toujours plus complexes, intelligents et connectés. Mais pourquoi ce secteur est-il aussi performant ?

Le transport aérien est le plus sûr au monde. Les statistiques d’Aviation Safety Network publiées en janvier 2020 placent même 2019 sur le podium des années les plus sûres. Éviter les accidents est un travail d’orfèvre pour les constructeurs qui développent des appareils toujours plus complexes, intelligents et connectés. Mais pourquoi ce secteur est-il aussi performant ? Certainement car il est l’un des premiers à suivre en configuration la quasi-totalité des processus de conception, production et maintenance.

 

La gestion de configuration en 3 mots

Interconnexion :la discipline de gestion de configuration implique une mise en exergue des interdépendances entre les différents éléments d’un produit. Par exemple, une modification effectuée sur les sièges peut avoir un impact sur le poids de l’appareil et donc une incidence sur de nombreux éléments. Quand un avion est suivi en configuration, une modification sur les sièges alertera les autres équipes qui pourront en étudier l'éventuel impact.

Modélisation :en soulignant les liens entre les actions des différents intervenants qui co-construisent un artefact, le processus de gestion de configuration amène à la modélisation des produits et à l’orchestration des systèmes qui les constituent. Il permet ainsi d’avoir une vision plus globale, car ce sont des produits qui impliquent souvent le travail de dizaines d’équipes réparties sur plusieurs territoires.

Anticipation :en repérant les éventuels problèmes avant même qu’ils n’apparaissent, la gestion de configuration s’inscrit dans une démarche préventive qui permet de gagner un temps précieux, surtout pour des projets qui se développent sur de nombreuses années.

 

Faire en sorte que les boites noires n’aient plus d’utilité

La gestion de configuration est apparue dans les années 80 pour répondre aux exigences de l’aviation civile américaine qui imposait aux constructeurs d’être capables d’identifier précisément et rapidement la ou les causes d’un crash. Les boites noires sont des enregistrements descriptifs et non explicatifs. Dans le cas du crash du vol447 d’Air France entre Rio et Paris en 2009, elles n’ont été retrouvées que deux ans après. Si elles apportent des éléments sur les paramètres et les actions effectuées au cours du vol, elles ne permettent pas toujours de comprendre les intrications entre les différents éléments techniques et mécatroniques des appareils : bec pour la mesure de la vitesse, angle de décrochage... Modéliser les produits et suivre leur cycle de vie en configuration permet d’avoir cette profondeur de champs. C’est la solution que les constructeurs ont mis en place pour pouvoir réagir vite et efficacement et imiter les risques d’accidents et les catastrophes aériennes.

Le gestionnaire de configuration chuchote à l’oreille des directeurs de programme

 

Dans l’aéronautique, le responsable de la gestion de configuration est souvent le bras droit du directeur de programmes, lui-même acteur clef du top management. Ce positionnement souligne bien toute l’importance qu’accorde le secteur à cette discipline et permet de remettre les problématiques métiers au cœur de la stratégie globale. Cela demande humilité et conscience du collectif : des qualités encore trop peu répandues au sein des entreprises françaises… Soulignons également que ce processus présente un autre atout non négligeable puisqu’il est la clé des démarches de traçabilité tout au long du cycle de vie d’un produit, qui représentent aujourd’hui un enjeu important pour la plupart des entreprises.  

 

Les bonnes pratiques d’un secteur doivent être partagées : tant sur le plan organisationnel que sur l’anticipation des risques, l’aéronautique a beaucoup à nous apprendre. La digitalisation rendant d’autant plus difficile la vision globale des intrications. La gestion de configuration a fait ses preuves :elle permet de partager efficacement et de façon pertinente les informations à grande échelle. Démocratisons-la, pour éviter les crashs dans tous les secteurs de l’économie.

Cet article est paru dans la revue spécialisée Air&Cosmos, le 05 février 2021

Cet article à été rédigé par
Michel Paillet, PhD et co-fondateur Cognitive Companions
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