Article de presse

Ne boycottons pas Amazon, apprenons d'elle !

11/2020

Plutôt que de boycotter Amazon, il faudrait plutôt comprendre ce qui fait son incroyable succès et chercher en conséquence à s'en inspirer pour développer notre propre autonomie stratégique. Cet article a été publié dans Les Echos, le 25/11/20

 « Le géant Amazon contre le reste du monde » : cela pourrait être le titre d’un roman (vendu en librairies et/ou sur Amazon !) ou d’une nouvelle série Netflix. C’est plutôt aujourd’hui une réalité médiatique suite à la décision gouvernementale de fermer les commerces dits « non essentiels ». Voleur d’emplois, symbole de l’évasion fiscale, chef de file du nivellement culturel par le bas…tous les maux sont reprochés au Géant et les appels au boycott se multiplient. Et pourtant, nous avons tous à apprendre d’Amazon ! Cessons un instant de présenter l’entreprise américaine comme le grand méchant du 21ème siècle et regardons de plus près ce qui fait son succès et comment nous pourrions nous en inspirer pour faire évoluer les modèles économiques de nos entreprises et développer notre autonomie stratégique.

 

Amazon reste objectivement meilleur commerçant au sens strict que nos libraires

 

En quelques clics et à peine quelques heures, le colis contenant le livre ou le magazine commandé en ligne est livré chez le client. Un petit miracle, qu’Amazon a la capacité de répéter à l’envi. L’entreprise n’est pas seulement excellente en matière de livraison, elle propose une offre quasi exhaustive, à la fois grand public et pointue (des livres rares notamment grâce à des partenariats avec des éditeurs spécialisés). Amazon étonne également par sa connaissance des habitudes de ses clients et donc par sa capacité, en captant leurs tendances de navigation, à prévoir leurs besoins et à leur proposer des produits (livres ou autres) adaptés. Ce n’est pas par hasard que les Français eux-mêmes font appel à ses services.

 

Pour résumer, Amazon est la référence d’excellence en matière d’expérience digitale et de satisfaction client : il prend en compte la globalité de l’expérience client et notamment la partie ingrate de la logistique. Il a su comprendre avant tout le monde que la logistique constituait un levier de performance et de service majeur dans un environnement ultra concurrentiel.

 

La logistique : maillon essentiel et pourtant si peu considéré de la chaine de valeur

 

La France a tendance à valoriser la culture et la conception et, par là même, le rayonnement des idées. D’autres pays mettent en avant leur capacité à fabriquer ou à produire. Aucun cependant ne semble considérer la logistique comme étant une partie noble de la chaine de valeur. Et c’est bien cela qu’Amazon a identifié !

 

La logistique peut s’envisager comme la compréhension et l’opération d’une orchestration très complexe d’une multitude d’intervenants dans la réalisation d’une action faussement simple : déplacer des éléments d’un point A à un point B dans un temps contraint. Contrairement à Alibaba, l’autre géant du e-commerce, qui laisse les produits en stock chez ses vendeurs, Amazon a développé son propre modèle logistique : FBA, pour « Fulfilled by Amazon ».Concrètement, le vendeur référence son produit, paye le stockage chez Amazon et laisse ce dernier gérer la distribution et la livraison au client final. Cela permet non seulement à Amazon d’externaliser son coût de stockage et d’optimiser ses ratios financiers, mais également de répondre à sa promesse de livraison en un temps record. Amazon dispose aujourd’hui de nombreux points de stockage et centres de livraison aux quatre coins du monde, dans lesquels il répartit les produits en fonction de la demande. L’optimisation du « dernier km »- dernier maillon de la chaine de distribution - passe par une implantation locale forte : utilitaires fournis (contre crédit) aux entrepreneurs locaux, points de retrait chez les commerçants, caissons de click and collect implantés dans les villes…  

 

L’excellence logistique passe ainsi par la capacité des entreprises à hybrider le physique avec l’immatériel. La recherche d’optimisation permanente des données clients et la maitrise des technologies digitales permettent des gains substantiels et maximisent les processus logistiques des produits physiques.

 

Ne cherchons pas à boycotter ou à concurrencer Amazon, mais à s’en différencier

 

Avec la crise de Covid-19, les Français semblent découvrir leur dépendance voire leur fragilité logistique, et les librairies indépendantes leur manque de préparation sur les modalités de vente multicanal, quand d’autres distributeurs généralistes sont bien mieux armés (Darty, la Fnac, ou encore Carrefour et Leclerc). Or, c’est une réalité : certains maillons critiques de la chaine ne sont pas sur le territoire. Plutôt que d’appeler au boycott de toute forme de concurrence internationale afin de conserver des schémas du passé, le vrai combat des professionnels devrait passer par la refonte de leurs modèles d’affaires en prenant en compte les évolutions technologiques et sociétales. Il y a de la place pour les visionnaires et les audacieux. Un océan bleu.

 

Aujourd’hui la force des libraires et autres commerçants indépendants sur le sol français repose sur leur connaissance de l’humain et leur relationnel avec le client. Par la passion et l’engagement qu’ils dégagent, les communautés qu’ils fédèrent, ils - les individus autant que les entreprises - sont une marque à part entière. C’est cette valeur immatérielle qu’ils doivent valoriser à l’échelle digitale et prendre en compte dans l’amélioration de leur stratégie multicanal. Sans chercher à concurrencer Amazon, il convient de reprendre les standards attendus par les consommateurs : améliorations continues, implication des clients et personnalisation, et surtout d’incorporer la dimension logistique au cœur du business model global.

 

L’Etat peut jouer un rôle de facilitateur et orchestrer les règles d’un jeu permettant une meilleure équité. Cela est possible en s’engageant dans une réorientation des politiques économiques pour impulser ou favoriser l’adoption des contacts dématérialisés pour les entreprises encore peu digitalisées. Au niveau européen, de nouvelles règles commerciales en matière d’imposition et d’incitation semblent nécessaires au développement d’une compétitivité équitable. Enfin, il est de la responsabilité de l’Etat d’être lui-même visionnaire et non suiveur ou clientéliste, d’anticiper ce que la rationalisation digitale va engendrer dans les différents secteurs de son économie, et de créer les conditions d’émergence des futurs géants français.

  

La force d’Amazon a été d’investir largement dans un maillon de la chaine souvent délaissé par les entreprises : celui de la logistique. Cette dernière est un élément clef de souveraineté pour toute entreprise et doit rester centrée sur la satisfaction du client. Pour développer un modèle d’affaires optimal, les commerçants français doivent identifier et capitaliser sur leur valeur immatérielle. Le sens et les atmosphères de marque véhiculés tant dans les lieux physiques que sur les plateformes dématérialisées seront autant de marqueurs de différenciation vis-à-vis des géants numériques.

Cessons de focaliser sur Amazon et réengageons-nous dans la transformation de nos entreprises !

Cet article à été rédigé par
Laurent Coulon
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